[ Pobierz całość w formacie PDF ]

vibrante, sublime, incarnée dans l'un de ses plus beaux rôles, et ce
- 120 -
portrait, acquis au poids de l'or, valait le prix dont l'avait payé son
admirateur.
Si cet original était toujours seul, lorsqu'il venait occuper sa
loge aux représentations de la Stilla, s'il ne sortait jamais de chez
lui que pour se rendre au théâtre, il ne faudrait pas en conclure
qu'il vécût dans un isolement absolu. Non, un compagnon, non
moins hétéroclite que lui, partageait son existence.
Cet individu s'appelait Orfanik. Quel âge avait-il, d'où venait-
il, où était-il né ? Personne n'aurait pu répondre à ces trois
questions. A l'entendre  car il causait volontiers  , il était un de
ces savants méconnus, dont le génie n'a pu se faire jour, et qui ont
pris le monde en aversion. On supposait, non sans raison, que ce
devait être quelque pauvre diable d'inventeur que soutenait
largement la bourse du riche dilettante. Orfanik était de taille
moyenne, maigre, chétif, étique, avec une de ces figures pâles
que, dans l'ancien langage, on qualifiait de « chiches-faces ».
Signe particulier, il portait une Sillère noire sur son Sil droit
qu'il avait dû perdre dans quelque expérience de physique ou de
chimie, et, sur son nez, une paire d'épaisses lunettes dont l'unique
verre de myope servait à son Sil gauche, allumé d'un regard
verdâtre. Pendant ses promenades solitaires, il gesticulait,
comme s'il eût causé avec quelque être invisible qui l'écoutait
sans jamais lui répondre.
Ces deux types, l'étrange mélomane et le non moins étrange
Orfanik, étaient fort connus, du moins autant qu'ils pouvaient
l'être, en ces villes d'Italie, où les appelait régulièrement la saison
théâtrale. Ils avaient le privilège d'exciter la curiosité publique, et,
bien que l'admirateur de la Stilla eût toujours repoussé les
reporters et leurs indiscrètes interviews, on avait fini par
connaître son nom et sa nationalité. Ce personnage était d'origine
roumaine, et, lorsque Franz de Télek demanda comment il
s'appelait, on lui répondit : « Le baron Rodolphe de Gortz. »
- 121 -
Les choses en étaient là à l'époque où le jeune comte venait
d'arriver à Naples. Depuis deux mois, le théâtre San-Carlo ne
désemplissait pas, et le succès de la Stilla s'accroissait chaque
soir. jamais elle ne s'était montrée aussi admirable dans les divers
rôles de son répertoire, jamais elle n'avait provoqué de plus
enthousiastes ovations.
A chacune de ces représentations, tandis que Franz occupait
son fauteuil à l'orchestre, le baron de Gortz, caché dans le fond de
sa loge, s'absorbait dans ce chant exquis, s'imprégnait de cette
voix pénétrante, faute de laquelle il semblait qu'il n'aurait pu
vivre.
Ce fut alors qu'un bruit courut à Naples,  un bruit auquel le
public refusait de croire, mais qui finit par alarmer le monde des
dilettante.
On disait que, la saison achevée, la Stilla allait renoncer au
théâtre. Quoi ! dans toute la possession de son talent, dans toute
la plénitude de sa beauté, à l'apogée de sa carrière d'artiste, était-
il possible qu'elle songeât à prendre sa retraite ?
Si invraisemblable que ce fût, c'était vrai, et, sans qu'il s'en
doutât, le baron de Gortz était en partie cause de cette résolution.
Ce spectateur aux allures mystérieuses, toujours là, quoique
invisible derrière la grille de sa loge, avait fini par provoquer chez
la Stilla une émotion nerveuse et persistante, dont elle ne pouvait
plus se défendre. Dès son entrée en scène, elle se sentait
impressionnée à un tel point que ce trouble, très apparent pour le
public, avait altéré peu à peu sa santé. Quitter Naples, s'enfuir à
Rome, à Venise, ou dans toute autre ville de la péninsule, cela
n'eût pas suffi, elle le savait, à la délivrer de la présence du baron
de Gortz. Elle ne fût même pas parvenue a lui échapper, en
abandonnant l'Italie pour l'Allemagne, la Russie ou la France. Il
la suivrait partout où elle irait se faire entendre, et, pour se
- 122 -
délivrer de cette obsédante importunité, le seul moyen était
d'abandonner le théâtre.
Or, depuis deux mois déjà, avant que le bruit de sa retraite se
fût répandu, Franz de Télek s'était décidé à faire auprès de la
cantatrice une démarche, dont les conséquences devaient
amener, par malheur, la plus irréparable des catastrophes. Libre
de sa personne, maître d'une grande fortune, il avait pu se faire
admettre chez la Stilla et lui avait offert de devenir comtesse de
Télek.
La Stilla n'était pas sans connaître de longue date les
sentiments qu'elle inspirait au jeune comte. Elle s'était dit que
c'était un gentilhomme, auquel toute femme, même du plus haut
monde, eût été heureuse de confier son bonheur. Aussi, dans la
disposition d'esprit où elle se trouvait, lorsque Franz de Télek lui
offrit son nom, l'accueillit-elle avec une sympathie qu'elle ne
chercha point à dissimuler. Ce fut avec une entière foi dans ses
sentiments qu'elle consentit à devenir la femme du comte de
Télek, et sans regret d'avoir à quitter la carrière dramatique.
La nouvelle était donc vraie, la Stilla ne reparaîtrait plus sur
aucun théâtre, dès que la saison de San-Carlo aurait pris fin. Son
mariage, dont on avait eu quelques soupçons, fut alors donné
comme certain.
On le pense, cela produisit un effet prodigieux non seulement
parmi le monde artiste, mais aussi dans le grand monde d'Italie.
Après avoir refusé de croire à la réalisation de ce projet, il fallut
pourtant se rendre. Jalousies et haines se dressèrent alors contre
le jeune comte, qui ravissait à son art, à ses succès, à l'idolâtrie
des dilettante, la plus grande cantatrice de l'époque. Il en résulta
des menaces personnelles à l'adresse de Franz de Télek 
menaces dont le jeune homme ne se préoccupa pas un instant.
Mais, s'il en fut ainsi dans le public, que l'on imagine ce que
dut éprouver le baron Rodolphe de Gortz à la pensée que la Stilla
- 123 -
allait lui être enlevée, qu'il perdrait avec elle tout ce qui l'attachait
à la vie. Le bruit se répandit qu'il tenta d'en finir par le suicide. Ce
qui est certain, c'est qu'à partir de ce jour, on cessa de voir
Orfanik courir les rues de Naples. Ne quittant plus le baron
Rodolphe, il vint même plusieurs fois s'enfermer avec lui dans
cette loge de San-Carlo que le baron occupait à chaque
représentation,  ce qui ne lui était jamais arrivé, étant
absolument réfractaire, comme tant d'autres savants, au charme
de la musique.
Cependant les jours s'écoulaient, l'émotion ne se calmait pas,
et elle allait être portée au comble le soir où la Stilla ferait sa
dernière apparition sur le théâtre. C'était dans le superbe rôle
d'Angélica, d'Orlando, ce chef-d'Suvre du maestro Arconati, [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

  • zanotowane.pl
  • doc.pisz.pl
  • pdf.pisz.pl
  • gim1chojnice.keep.pl