[ Pobierz całość w formacie PDF ]
une suite de collines en grande partie abandonnées. Le duc de Liancourt l'a dernièrement convertie en jardin
anglais, avec bosquets, allées sinueuses, bancs de verdure et tonnelles. Le site est très heureux. Des sentiers
ornés suivent le bord des pentes, pendant trois ou quatre milles, Les vues qu'ils offrent sont agréables, dans
quelques endroits elles ont de la grandeur. Près du château, la duchesse a fait construire une ménagerie et une
laiterie d'un goût charmant, Le boudoir et l'antichambre sont fort jolis, le salon élégant ; la laiterie elle-même
est tout en marbre. Dans un village près de Liancourt, le duc a fondé une manufacture de toiles et de tissus
mêlés, fil et coton, qui promet de rendre de grands services ; on y compte 25 métiers, et on se prépare à en
monter d'autres. La filature pour ces métiers emploie un grand nombre de bras, qui autrement seraient
inoccupés ; car, bien que la contrée soit populeuse, il n'y a aucune espèce de manufactures. De tels efforts
méritent d'être loués hautement. A ceci se rattache un excellent projet du duc pour donner à la génération
nouvelle des habitudes d'industrie. Les filles pauvres sont reçues dans une institution où on leur apprend un
métier : on leur enseigne la religion, la lecture, l'écriture et le filage du coton ; elles y restent jusqu'à l'âge de
se marier, et on leur donne alors pour dot une portion déterminée de leurs gains. Il y a aussi un autre
établissement ( pour lequel je me récuse ) destiné à former les orphelins de l'armée à être soldats. Le duc a
élevé pour eux de grands bâtiments parfaitement aménagés. Le tout est dirigé par un digne et intelligent
officier, M. Leroux, capitaine de dragons et croix de Saint-Louis, qui surveille tout lui-même. Le nombre
des enfants est maintenant de 120, tous en uniforme. Mes idées ont maintenant pris une tournure que je suis
trop vieux pour changer : j'aurais mieux aimé voir 120 garçons élevés à la charrue, dans des principes
meilleurs que ceux d'à présent ; mais, il faut l'avouer, l'établissement est fait dans un but d'humanité, et la
conduite en est excellente.
Je reconnus à Liancourt la fausseté des idées que je m'étais faites, avant mon voyage en France, d'une maison
de campagne dans ce royaume. Je m'attendais à n'y voir qu'une copie de la capitale, toutes les formes
assommantes de la ville, moins ses plaisirs ; mais je me détrompai. La vie et les occupations ressemblent
beaucoup plus à celles d'une résidence de grand seigneur anglais que l'on ne se l'imaginerait ordinairement.
On trouve le thé servi, si l'on veut descendre déjeuner ; puis la promenade à cheval, la chasse, les plantations,
le jardinage, mènent jusqu'au dîner, que l'on ne sert qu'à deux heures et demie, au lieu de l'ancienne habitude
de midi ; la musique, les échecs, ainsi que les autres passe-temps ordinaires d'un salon de compagnie et une
bibliothèque de sept ou huit mille volumes permettent d'employer agréablement les loisirs qui restent. On voit
que la façon de vivre est en grande partie la même dans les différents pays d'Europe. Il faut ici que les
JOURNAL 39
Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789
ressources de l'intérieur soient très nombreuses ; car, avec un tel climat, on ne peut compter sur celles du
dehors ; la quantité de pluie qui tombe est incroyable. J'ai remarqué que pendant vingt-cinq ans, en
Angleterre, je n'ai jamais été retenu à la maison par la pluie ; il peut tomber une forte averse, qui dure
plusieurs heures ; mais saisissant le moment, on peut se permettre un tour de promenade, soit à pied, soit à
cheval. Depuis mon séjour à Liancourt, nous avons eu une pluie incessante, si forte, que je ne pouvais aller du
château au pavillon du duc sans courir le risque d'être traversé. Il est tombé pendant dix jours plus d'eau, j'en
suis sûr, si on avait pu la mesurer, qu'il n'en tombe jamais en Angleterre pendant un mois. C'est une mode
nouvelle, en France, que de passer quelque temps à la campagne : dans cette saison et depuis plusieurs
semaines Paris est comparativement désert. Quiconque a un château s'y rend, les autres visitent les plus
favorisés. Cette révolution remarquable dans les habitudes françaises est certainement le meilleur emprunt
fait à notre pays, et son introduction avait été préparée par les enchantements des écrits de Rousseau.
L'humanité doit beaucoup à cet admirable génie, chassé, de son vivant, de pays en pays avec autant de fureur
qu'un chien enragé, grâce à cet ignoble esprit de superstition qui n'a pas encore reçu le dernier coup.
Les femmes du premier rang, en France, rougiraient, à présent, de laisser allaiter leurs enfants par d'autres, et
les corsets, qui si longtemps torturèrent, comme encore en Espagne, le corps de la pauvre jeunesse, sont
universellement bannis. Le séjour à la campagne n'a pas encore produit d'effets aussi remarquables, mais ils
n'en sont pas moins sûrs et n'amélioreront pas moins toutes les classes de la société.
Le duc de Liancourt, devant présider l'assemblée provinciale de l'élection de Clermont se rendit à la ville pour
plusieurs jours et m'invita au dîner de l'assemblée, où se devaient trouver plusieurs agriculteurs en renom. Ces
assemblées, proposées depuis de si longues années par les patriotes français et surtout par le marquis de
Mirabeau, le célèbre ami des hommes ; reprises par M. Necker, et jalousées par certaines personnes ne voyant
pas de gouvernement meilleur que celui sur les abus duquel se fondait leur fortune, ces assemblées, dis-je,
m'intéressaient au plus haut point. J'acceptai l'invitation avec plaisir. Il s'y trouvait trois grands cultivateurs,
non pas propriétaires, mais fermiers. J'examinai avec attention leur conduite en face d'un grand seigneur du
premier rang, d'une fortune considérable et très haut en l'estime du roi ; à ma grande satisfaction ils s'en
tirèrent avec une aisance et une liberté fort convenables quoique modestes, d'un air ni trop dégagé ni trop
obséquieux pour être en désaccord avec nos idées anglaises. Ils émirent leur opinion librement et s'y tinrent
avec une confiance convenable. Un spectacle plus singulier était la présence de deux dames au milieu de
vingt-cinq à vingt-six messieurs ; une telle chose ne se ferait pas en Angleterre. Dire que les coutumes
françaises l'emportent à cet égard sur les nôtres, c'est affirmer une vérité qui saute aux yeux. Si les femmes
sont éloignées des réunions où l'entretien doit rouler sur des sujets plus sérieux que ceux qu'on traite
d'ordinaire dans la conversation, elles resteront dans l'ignorance, ou bien se jetteront dans les extravagances
d'une éducation exagérée, pédante, affectée, en un mot rebutante chez elles. L'entretien d'hommes s'occupant
de choses importantes est la meilleure école pour une femme.
La politique, dans toutes les sociétés que j'ai vues, roulait beaucoup plus sur les affaires de Hollande que sur
celles de France. Tout le monde parlait d'apprêts pour une guerre avec l'Angleterre ; mais les finances
françaises sont dans un tel désordre, que les mieux informés la déclarent impossible. Le marquis de Vérac,
dernier ambassadeur à La Haye ( envoyé, disent les politiques anglais, pour soulever une révolution ), a passé
trois jours à Liancourt. On peut croire qu'il se montrait prudent au milieu d'une compagnie si mêlée ; mais il
ne faisait pas mystère de ce que cette révolution qu'il était chargé de provoquer en Hollande pour changer le
stathouder ou réduire son pouvoir, avait été depuis longtemps combinée et tramée de manière à défier toutes
chances mauvaises, si le comte de Vergennes n'eût compromis cette affaire, à force de manoeuvres pour se
rendre nécessaire au cabinet de Versailles. Ceci s'accorde avec les idées de quelques Hollandais, hommes de
sens, à qui j'en avais parlé.
Pendant mon séjour à Liancourt, mon ami Lazowski m'accompagna dans une petite excursion de deux jours à
[ Pobierz całość w formacie PDF ]